Fantasio, de Musset, à la Comédie-Française

Denis Podalydès, écrivain, acteur et metteur en scène
"Le corps est dans la voix"
LE MONDE | 08.09.08 | 16h59  •  Mis à jour le 08.09.08 | 17h00


enis Podalydès est présent sur trois fronts de la rentrée. Au cinéma, depuis le 3 septembre, dans Intrusions, le film de son ami Emmanuel Bourdieu. Dans les librairies, à partir du 11 avec son livre Voix off (Mercure de France). A l'affiche de la Comédie-Française, où il signe sa seconde mise en scène : Fantasio, de Musset (à partir du 18), après le succès de la première, Cyrano de Bergerac, de Rostand - créé en juin 2006 -, repris le 18 décembre. D'ici là, le sociétaire de la Comédie-Française va jouer dans une autre reprise, celle de Figaro divorce, d'Horvath, mis en scène par Jacques Lassalle à partir du 3 octobre.

 

 

Ce n'est pas un problème de faire trois choses à la fois : jouer, mettre en scène et écrire ?

Non, mais je trouve que le plus compliqué, le plus anxiogène en tout cas, c'est de mettre en scène. J'écris d'une manière discontinue et détendue, sauf dans les périodes proches de l'échéance. Le livre Voix off est sorti par bouffées, avec beaucoup de plaisir. Après, il y a eu du travail, et du retravail, que j'ai fait notamment pendant la tournée du Chapeau de paille d'Italie. Quand on fait des tournées, l'activité d'acteur n'occupe plus que les trois heures de représentation. Pour moi, c'est une vie merveilleuse, parce qu'elle laisse un temps énorme.

Dans Voix off, vous dites que quand vous êtes dans un studio d'enregistrement, à lire un texte, seul, vous vous sentez bien

C'est là que je me sens le plus avec moi-même. En moi-même et dans une matière qui m'est autre, celle d'un livre. J'éprouve un sentiment d'indépendance absolue. Quand on joue ou met en scène, on est toujours dans la dépendance des autres, d'une affaire humaine empâtée, non pas forcément de conflits, mais d'affectif. Cette question est évacuée dans un studio d'enregistrement. Le monde autour s'efface. Il ne s'agit pas d'une solitude sèche, mais habitée par le plaisir de lire.

On a l'impression que, pour vous, la voix est ce qu'il y a de plus important. La voix de vivants et de morts, votre voix, la voix de votre psychanalyste. Et tout cela se mêle avec les voix de votre famille...

C'est vrai. D'où peut-être mon goût du théâtre, plus auditif que visuel. Je trouve qu'au théâtre on entend plus qu'on ne voit. Au cinéma, l'image est tout le temps en mouvement ; au théâtre, un décor est souvent fixe. C'est l'oreille qui est soumise aux changements. La voix d'un acteur s'y donne, dans la nudité.

Ma sensibilité à la voix vient aussi de ma famille, très bavarde, dans laquelle il faut parler pour exister. Il n'y a pas de silence dans cette famille, au contraire, il y en a toujours plein qui parlent en même temps, et beaucoup parlent tout seuls - ma mère, mes frères, moi. J'y vois le témoignage du vivant : où il y a de la vie, ça parle.

Quand vous écoutez une représentation du TNP, dans les années 1950, vous avez un effet proustien gigantesque. Vous entendez les jeunes qui sont là, dans le public, et vous vous dites : "Aujourd'hui, quel âge ont-ils ? Qui sont morts d'entre ceux-là ?" La voix vous met en présence des personnes. Car le corps est dans la voix, intégralement. A l'état spirituel, intellectuel, moral, mais il est là.

Au théâtre, c'est pareil. Un acteur qui vous émeut n'est pas simplement celui qui a une belle voix, mais celui dont la voix rend compte de tout le corps et de toute l'âme. Elle s'élève alors à la hauteur d'un chant.

Et l'enseignement de la voix dans les écoles ?

Je suis très sceptique. Il y a vingt ans, quand j'ai fait mes études de théâtre, la voix était assimilée à la déclamation, au côté "vieux théâtre" des professeurs issus de la Comédie-Française qui arrivaient en complet-veston, avec un petit mouchoir dans leur poche. On était alors dans la réaction à ce "théâtre = voix". Le théâtre célébrait le corps, on se méfiait beaucoup des acteurs qui avaient des voix très formées. Cette opposition entre corps et voix était fausse. Ce n'est pas parce qu'un théâtre est physique qu'il doit être inaudible, ou se passer dans le cri. J'ai traversé tout cela sans me rendre compte de l'idéologie qu'il y avait derrière.

Après Cyrano, vous mettez en scène une pièce très connue et peu jouée, Fantasio. Entre les deux, il y a un lien : la mélancolie...

Oui. Fantasio est une pièce qui ne parle que de cela, d'ailleurs. Comme dans Cyrano, il y a le thème du poète raté. Cyrano dit : "J'ai tout manqué, même ma mort." Fantasio est habité par l'obsession d'une oeuvre à faire. A la princesse qui lui dit : "Pourquoi n'écris-tu pas tout ce que tu rêves ?", il répond : "Un sonnet vaut mieux qu'un long poème, et un verre de vin vaut mieux qu'un sonnet." Et il boit.

"Il", dans votre mise en scène, c'est elle : Cécile Brune joue Fantasio. Pourquoi ?

Elle est comme un alter ego qui ne serait vraiment pas moi. Je la connais depuis vingt ans. Il y a dans sa voix quelque chose qui m'est lié très inconsciemment. Une blessure, même quand elle est très gaie. Si vous confiez le rôle de Fantasio, qui est quand même très difficile, à un acteur jeune dont la voix n'est pas faite, il pourra rendre compte de sa propre jeunesse, mais pas d'une certaine idée de la jeunesse inemployée, désoeuvrée, mélancolique. Cette idée-là, Cécile la porte dans sa voix.

 


Voix off, de Denis Podalydès, Mercure de France, "Traits et portraits", 244 p., (+ un CD), 25 €.

Fantasio, de Musset, et Figaro divorce, d'Horvath, en alternance, à la Comédie-Française