Un rafraîchissant Molière  LE MONDE | 19.10.07 Fabienne Darge
 Les Précieuses ridicules
Pari fou, pari gagné : dix heures de Molière à la suite, trois pièces - Les Précieuses ridicules, Tartuffe et Le Malade imaginaire - jouées sans coup férir par les mêmes neuf comédiens... L'aventure, réjouissante, a lieu au Théâtre de l'Odéon, à Paris, où la compagnie La Nuit surprise par le jour s'est posée depuis le 9 octobre. Avant cela, il y avait eu une longue tournée, un peu partout en France, et, chaque fois, le même enthousiasme pour ce "marathon Molière".
La compagnie présente aussi, le soir en semaine, chacune des trois pièces séparément. Mais c'est dans l'intégrale, intitulée Le Bourgeois, la mort et le comédien, que l'entreprise prend tout son sens et sa dimension : celle-ci se joue le samedi et commence aux premières heures de l'après-midi pour se terminer avec la nuit.
Pourquoi s'enfermer dix heures dans un théâtre ? Pas pour la performance, qui n'aurait aucun intérêt. Mais d'abord parce que l'épopée proposée par le metteur en scène Eric Louis et sa troupe en vaut la chandelle : Molière y retrouve une fraîcheur, une actualité, une jeunesse qu'on ne lui avait pas vues depuis longtemps.
Pour le parcours proposé dans l'oeuvre du "patron" du théâtre français, ensuite : des Précieuses ridicules, écrites en 1658 par un Molière fraîchement débarqué dans la capitale, au Malade imaginaire, qui signe en 1673 la mort de l'auteur, à l'issue de la quatrième représentation, en passant par le Tartuffe et sa charge contre les faux dévots, en 1664.
De la farce à la comédie-ballet en passant par la grande comédie classique en alexandrins, quel rôle joue le théâtre satirique par rapport au pouvoir et aux faux-semblants de la société ?
Vous voilà donc confortablement installé dans votre fauteuil du Théâtre de l'Odéon. Au fond du plateau nu, une petite troupe se serre frileusement, contemplant craintivement les spectateurs. Elle va déployer petit à petit son théâtre de tréteaux, ses scènes modulables et mobiles, ressemblant à des rafiots un peu déglingués, avec une inventivité, une énergie et une générosité qui ne se démentiront pas.
Eric Louis et ses comédiens se sont rencontrés, pour la plupart, à l'école du Théâtre de Chaillot, alors dirigée par Antoine Vitez. Ils font partie de ces troupes de jeunes quadragénaires qui, comme celle de Jean-François Sivadier (dont la mise en scène du Roi Lear se joue encore au Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu'au 27 octobre), ont retrouvé la science d'un théâtre populaire, festif, où la parole tient la première place et les comédiens le premier rôle, et où les spectateurs sont partie intégrante du spectacle.
Ils n'ont peur ni de la farce, qu'ils jouent à la perfection, ni de la dimension carnavalesque du théâtre. Leur vision du Malade imaginaire en fera grincer plus d'un, et c'est d'ailleurs la petite réserve que l'on peut leur faire, que de s'être en partie laisser piéger par la logique du divertissement qu'ils entendaient dénoncer.
Leur pari tient pourtant quasiment de bout en bout, qui joue des codes du spectacle populaire - théâtre de foire, spectacle de magie, opérette, concert de rock... - pour mieux mettre en jeu tout ce qui, dans la vie, est illusion. Cette réussite doit évidemment beaucoup à ses comédiens, Yann-Joël Collin et Cyril Bothorel en tête, dans toute une série de rôles clés tout au long de l'intégrale, et notamment dans ceux de Tartuffe et d'Orgon, où ils sont absolument remarquables. Même engagement, même puissance de jeu et de dérision, même diction parfaite, chez tous les autres, Xavier Brossard, Claire Harrison-Bullett, Yannick Choirat, Catherine Fourty, Elios Noël, Alexandra Scicluna et le metteur en scène lui-même, Eric Louis.
Contrairement aux apparences, ces comiques troupiers-là sont bien plus les enfants d'Antoine Vitez, à qui de discrets et émouvants clins d'oeil sont d'ailleurs adressés tout au long du spectacle, que du Grand Magic Circus. Ils font réentendre Molière avec une force neuve, que nous avaient fait oublier nombre de mises en scène académiques.
Antoine Vitez qui écrivait dans Le Théâtre des idées, à propos de sa propre épopée-Molière, en 1978 : "Nous inventions à neuf pour nous-mêmes la tradition archaïque du théâtre, nous mettions nos pas dans ceux de Molière ; et bornés par les mêmes contraintes, soumis aux mêmes lois, nous le faisions revivre. C'est tout le plaisir du théâtre : reconstruire une autre vie, lointaine, distante de nous par l'espace et le temps, invoquer les morts et les absents." Les histrions de La Nuit surprise par le jour ne font pas autre chose, qui nous laissent,  nous, spectateurs, dans une forme olympique à l'issue du marathon.
Le Bourgeois, la mort et le comédien (Les Précieuses ridicules, Tartuffe et Le Malade imaginaire), de Molière. Mise en scène : Eric Louis. Théâtre de l'Odéon, place de l'Odéon, Paris-6e. Mo Odéon. Tél. : 01-44-85-40-40.
En semaine : Tartuffe le 19 octobre à 20 heures, Le Malade imaginaire du 23 au 26 octobre à 19 heures. Intégrales : les samedis 20 et 27 octobre à 13 h 30. De 7,5 € à 30 € par pièce. Durée : 10 heures.
Dépoussierer sans casser les assiettes
«Le Mariage de Figaro ou la Folle Journée», de Beaumarchais
 
Hourra ! Voilà le beau, le grand spectacle qu'on attendait depuis la rentrée. Si enthousiasmant qu'il ragaillardit l'amour du théâtre. On en frétille de joie dans son fauteuil. Cette nouvelle version du chef- d'oeuvre de Beaumarchais rivalise de jeunesse et d'intelligence avec celle, inoubliable et inoubliée, de Jean-Pierre Vincent en 1987. Clé de la réussite, un metteur en scène pour qui «le commentaire ou l'analyse ne doivent jamais prendre le pas sur l'histoire à raconter». Ce qui n'empêche pas Christophe Rauck, qui a fait ses premières armes chez Mnouchkine et n'a rien d'un vieux croûton, de bousculer allègrement les traditions. Dépoussiérer les classiques sans les réduire en miettes, n'est-ce pas le rôle de la Comédie-Française ? Vaudeville en apparence inoffensif mais chargé d'explosifs jusqu'à la gueule, «le Mariage de Figaro» est une oeuvre duelle. Ici les deux facettes sont présentes. Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Elsa Lepoivre, Benjamin Jungers, Michel Robin, Christian Blanc, Martine Chevallier, pas un acteur qui ne soit succulent. Même Anne Kessler, souvent minaudière, se montre naturelle et émouvante. Tous sont acclamés. Les trois heures du spectacle passent comme l'éclair.

Mise en scène de Christophe Rauck. Comédie-Française,
2 rue de Richelieu (1er); 08-25-10-16-80. M° Palais-Royal. En alternance jusqu'au 27 février 2008.
Jacques Nerson
Paris Obs (jeudi 4 octobre 2007)
Un air de liberté et tout le plaisir du texte dans « Le Mariage de Figaro »
 
Article publié le 29 Septembre 2007
Par Martine Silber
Source : LE MONDE

Extrait : La saison de la Comédie-Française ouvre avec la pièce de Beaumarchais mise en scène par Christophe Rauck. Une réussite. Quel plaisir que ce Mariage de Figaro de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais qui ouvre la saison de la Comédie-Française, dans une nouvelle mise en scène de Christophe Rauck. Plaisir du texte avant tout, noblesse oblige ! Plaisir du texte dit. L'élocution, parfaite, donne du sens à la moindre réplique. Cette explication de texte vibre, virevolte, appuie sans crier gare, effleure sans y toucher, suscite les rires, fait surgir l'émotion ou la réflexion, là ou la simple lecture n'aurait suffi.
 Publié le 27 septembre 2007  François Bouchon / Le Figaro
 « Le Mariage de Figaro » 
de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.
 
Un chef-d’œuvre éblouissant
 Il est, dans le répertoire dramatique français, des pièces si originales et fortes qu'elles excèdent par leur influence le cadre d'un divertissement, aussi délicieux et brillant fût-il. Ainsi est Le Mariage de Figaro, chef-d'oeuvre de la littérature du XVIIIe, tout de saveur, d'alacrité, pièce d'une cocasserie merveilleuse, mais partition politique également dont les leçons sont toujours actives. C'est bien ainsi que Christophe Rauck la propose sur le vaste plateau de la salle Richelieu, en s'appuyant sur une distribution éblouissante et très intelligemment construite. Personne ici qui ne soit à sa juste place. C'est à la fois harmonieux et contrasté, un peu à l'image des partis pris du décor (Aurélie Thomas) et des costumes (Marion Legrand) qui citent en sourdine La Règle du jeu de Jean Renoir - et l'on ne discutera pas ici du bien-fondé de ce rapprochement, même s'il nous semble qu'il y a plus de sincérité, moins de cynisme, du côté des personnages de Beaumarchais...
 
Christophe Rauck, dont on a toujours apprécié le travail, déploie une science accomplie du mouvement et des changements de registre : comédie, choeur et vaudeville, tirades, monologues, adresses au public, il sait instaurer dans la fluidité des accélérations, des moments suspendus et même quelques gouttes de silence ! Il dirige très bien les interprètes tout en leur laissant, on le devine, une part de liberté grande. C'est flagrant avec Suzanne (Anne Kessler), fascinant papillon, vive et futée, et audacieuse, et Figaro (Laurent Stocker), deux êtres de vif-argent, époustouflants. Bien sûr le parcours du rôle-titre est complexe et s'épanouit dans l'apothéose du fameux monologue. Quel immense talent est celui de Laurent Stocker et comme il tient bien toutes les nuances du parcours.
 
Il faut louer chacun. Michel Vuillermoz suggère l'infime limitation d'Almaviva avec son génie de la retenue, Elsa Lepoivre est une belle comtesse qui ne cache pas son trouble devant le très charmant Chérubin de Benjamin Jungers, excellente recrue. Martine Chevallier, Marceline, guindée et enfiévrée à la fois, est d'une finesse extrême, le Bartholo de Bakary Sangaré est épatant, Michel Robin est irrésistible en Brid'oison, et Christian Blanc, Grégory Gadebois et Prune Beuchat sont parfaits. Et comme on entend bien la langue fruitée et puissante de Beaumarchais, un maître 
 
Comédie-Française en alternance jusqu'au 27 février 2008. Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française (10 eur).